Les écarts de résultats économiques entre les régions d'un même pays peuvent être considérables et parfois plus marqués qu’entre pays.
Ainsi, alors que le PIB réel moyen par habitant des États-Unis est supérieur d’environ 90 % à celui de la Slovaquie, le PIB par habitant de l’État de New York est supérieur de 100 % à celui du Mississippi.
De nombreux observateurs s’inquiètent de ce que ces écarts élevés et persistants soient le signe que des régions et des individus sont laissés pour compte, à l’encontre de la croissance inclusive. Des résultats régionaux médiocres peuvent nourrir le mécontentement et éroder la confiance et la cohésion sociales.
Le chapitre 2 de la dernière édition des Perspectives de l'économie mondiale (PEM) étudie les écarts entre les régions les plus performantes et les moins performantes des pays avancés et constate qu’ils se sont très souvent creusés. Il examine également les réactions des marchés du travail aux chocs commerciaux et technologiques, représentés respectivement par l’intensification de la concurrence des importations sur les marchés extérieurs et par la baisse du coût des machines et équipements pour les régions les plus vulnérables à l’automatisation. Nous constatons que seuls les chocs technologiques ont des effets durables, surtout pour les régions les moins performantes.
Mesurer les inégalités régionales
On peut mesurer les inégalités régionales en calculant le ratio 90/10, à savoir diviser le PIB réel par habitant des 10 % de régions les plus performantes (ou 90e centile) par celui des 10 % les moins performantes d’un pays. Dans le cas de l’Italie, le ratio 90/10 est proche de 2, ce qui signifie que le PIB par habitant est à peu près deux fois plus élevé dans la province prospère du Trentin-Haut-Adige qu’en Sicile. Au Japon en revanche, le ratio 90/10 est faible, à 1,35.
Les disparités régionales dans les pays avancés augmentent progressivement depuis la fin des années 80, effaçant en partie le net recul enregistré au cours des trente années précédentes. Le ratio 90/10 des pays avancés, États-Unis compris, est voisin de 1,7 aujourd’hui, ce qui indique que la région du 90e centile est en moyenne 70 % plus riche que la région du 10e centile. Cela étant, les écarts de revenu sont en général bien plus marqués à l’intérieur d’une région que d’une région à l'autre.
Ces disparités croissantes impliquent aussi que les régions les plus pauvres des pays avancés ne rattrapent plus les riches aussi vite qu’avant.
Des écarts très marqués
Le chapitre 2 des PEM classe une région comme à la traîne si deux conditions sont réunies : son PIB par habitant réel en 2000 est inférieur à celui de la région médiane du pays et sa croissance moyenne sur la période 2000–16 est inférieure à la croissance moyenne nationale sur la même période.
Mais les disparités ne s’arrêtent pas à la production. En moyenne, les habitants des régions à la traîne sont moins bien lotis dans le domaine de la santé, la mortalité infantile étant plus élevée et l’espérance de vie plus courte. Les régions à la traîne comptent aussi proportionnellement moins de travailleurs diplômés de l’enseignement supérieur et d’individus dans la force de l’âge (âgés de 25 à 54 ans), et ont un taux de chômage plus élevé et un taux d’activité plus faible.
Dans la logique de ces données démographiques défavorables, la productivité du travail, c’est-à-dire la production par heure travaillée, dans les régions à la traîne est généralement plus faible tous secteurs confondus. L’écart va d’environ -5 % dans les services publics à -15 % dans l’industrie manufacturière, ainsi que dans les services financiers et professionnels.
En outre, les régions les plus pauvres se spécialisent en général dans l’agriculture et l’industrie manufacturière plutôt que dans les secteurs des services à forte productivité comme l’informatique et les communications ou la finance. Or le changement climatique peut accentuer les disparités car l’élévation des températures, qui abaisse la productivité du travail dans l’agriculture et dans les secteurs d’activité exposés à la chaleur, affecte souvent davantage les régions à la traîne.
Réactions aux chocs
Pour mieux comprendre les écarts régionaux, notre étude analyse les effets des chocs commerciaux et technologiques sur le chômage régional et sur les migrations.
Nous constatons que les chocs commerciaux, à savoir une intensification de la concurrence des importations sur les marchés extérieurs, n’ont pas d’effets significatifs sur le taux de chômage régional en moyenne, aussi bien globalement que pour les régions à la traîne. Bien que ces chocs tendent à réduire le taux d’activité après un an, cet effet s'atténue rapidement. Ces constats peuvent paraître surprenants à ceux qui considèrent que le commerce international perturbe fortement la croissance régionale.
Toutefois, il en va différemment de la technologie. Nous constatons qu’un choc technologique défavorable, représenté par une baisse du coût des machines et des équipements, entraîne une hausse du chômage dans toutes les régions les plus vulnérables à l’automatisation, mais que les régions à la traîne sont particulièrement touchées.
Nos recherches montrent également que les régions à la traîne enclines à l’automatisation enregistrent une baisse statistiquement significative des individus qui partent après un choc. Cela laisse à penser que les travailleurs originaires de ces régions ont plus de difficultés à déménager pour rechercher un meilleur emploi que ceux des autres régions. L’ajustement de la main-d’œuvre aux chocs technologiques dans ces régions est freiné.
Cibler les individus et les lieux
Réduire les distorsions et encourager l’ouverture et la flexibilité des marchés peuvent aider les régions à réduire au minimum les hausses du chômage consécutives à des chocs et à améliorer la réaffectation des travailleurs et des capitaux. Des politiques de l’emploi visant à donner une nouvelle formation aux travailleurs déplacés et à accélérer le retour à l’emploi peuvent être également utiles, en particulier dans les régions à la traîne. Les marchés de produits plus ouverts, du fait de moindres barrières à l’entrée et d’une plus grande ouverture aux échanges, peuvent faciliter l’orientation des capitaux vers les régions et les entreprises offrant un meilleur rendement.
En outre, une amélioration de la qualité de l’éducation et de la formation pour s’adapter à l’évolution du monde du travail — une recommandation cruciale des études réalisées en la matière — bénéficierait proportionnellement plus aux régions à la traîne où le taux de chômage est plus élevé.
Enfin, les politiques budgétaires visant à réduire les écarts entre régions, par exemple un soutien budgétaire ciblé sur les régions à la traîne et des programmes facilitant la réinstallation des travailleurs, et à fournir des amortisseurs contre les chocs régionaux peuvent également jouer un rôle. Toutefois, il convient de concevoir soigneusement ces politiques localisées pour ne pas entraver l’ajustement mais bien le faciliter.
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John Bluedorn est économiste principal au sein de l’unité réformes structurelles du département des études du FMI. Auparavant, il a été membre de l’équipe zone euro du FMI au département Europe et a travaillé sur les Perspectives de l’économie mondiale, contribuant à plusieurs chapitres. Avant d’entrer au FMI, il a été professeur à l’université de Southampton, au Royaume-Uni, après avoir été chercheur postdoctorant à l’université d’Oxford. Il a publié sur différents thèmes dans les domaines de la finance internationale, de la macroéconomie et du développement. Il est titulaire d’un doctorat de l’université de Californie à Berkeley.
Weicheng Lian est économiste au département des études du FMI. Il a travaillé précédemment au département Europe du FMI. Ses recherches portent notamment sur la macrofinance, en particulier les tendances et les cycles de l’immobilier, et sur les évolutions structurelles de l’économie mondiale. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’université de Princeton.
Natalija Novta est économiste au département des études du FMI où elle travaille sur les Perspectives de l’économie mondiale. Elle a auparavant travaillé au département Hémisphère occidental et au département des finances publiques. Avant d’intégrer le FMI, elle a travaillé au Conseil des finances publiques de Serbie, au ministère des Finances de Serbie et au Bureau national des études économiques. Titulaire d’un doctorat en économie de l’université de New York, elle s’est intéressée en particulier aux échanges commerciaux, à l’emploi dans le secteur public, aux changements climatiques et aux conflits.
Yannick Timmer est économiste au département des études du FMI. Avant de rejoindre le FMI, il a obtenu son doctorat au Trinity College de Dublin. Au cours de ses études doctorales, il a également été étudiant invité à l’université de Princeton et a exercé des fonctions au Comité européen du risque systémique, à la Bundesbank et à la Banque centrale d’Irlande. Ses recherches couvrent un large éventail de questions dans le domaine de la macroéconomie et de la finance. Ses travaux ont été publiés dans des revues scientifiques de premier plan telles que le Journal of Financial Economics et la Review of Financial Studies.